| | 13- Apprentissage du goût et construction de l'individu cus383 | |
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Gastrom Admin & Traiteur Pro
Messages : 22951 Date d'inscription : 22/03/2013 Localisation : Bretagne -France-
| Sujet: 13- Apprentissage du goût et construction de l'individu cus383 Mer 29 Mai - 16:29 | |
| Apprentissage du goût et construction de l’individu cus383
Chapitre 1 Déguster, c’est se représenter les goûts Le goût du café au lait que nous consommons chaque matin ou celui de l’exceptionnel foie gras dégusté à Noël est inscrit dans notre tête, sous la forme d’une image sensorielle.
En effet, un aliment n’a du goût qu’à partir du moment où il entre en contact avec le mangeur : le goût est bien une sensation subjective élaborée par l’individu, une représentation mentale des stimulations que nous transmettent nos sens. Lorsque nous mangeons, nous transformons les propriétés physiques et chimiques du contenu de notre assiette en un ensemble d’activations cérébrales qui aboutissent à une représentation.
Alors, avant de parler dans le détail de la préparation d’un produit alimentaire ou de se lancer dans des recettes sophistiquées, apprenons simplement à goûter, c’est-à-dire à mieux tirer parti de capacités sensorielles que nous exploitons peu.
Les découvertes et les expériences alimentaires qui s’en suivent n’en seront que plus agréables et profitables : utiliser ses sens, c’est être plus réceptif à la qualité des aliments, au travail des cuisiniers et des professionnels qui prennent soin de développer telle ou telle caractéristique sensorielle dans leurs produits. Le dégustateur attentif se met à l’écoute de la richesse des recettes de cuisine qui s’offrent à lui.
Apprendre à goûter, pour le plaisir Au prix d’efforts bien agréables, l’éducation au goût permet de découvrir au quotidien toute la richesse et la variété des perceptions sensorielles générées par la dégustation : le monde des odeurs, des saveurs, des arômes et des textures se révèle petit à petit. On perçoit une foule d’informations sur l’aliment et on réalise à quel point nos sens sont performants.
C’est ainsi que l’on peut entendre, lors des classes du goût, que « quand on déguste un sorbet à la framboise qui a fondu, on sent des arômes de framboise plus forts et un goût plus sucré et moins acide que quand il est très froid ».
On est aussi étonné de constater à quel point les sens coopèrent entre eux : « d’après sa couleur, je pensais que c’était un sirop de citron, mais en le goûtant, je pense plutôt qu’il est à l’ananas ! », témoigne un enfant qui réalise l’importance des attentes créées par la vue.
Toutes ces perceptions sensorielles s’inscrivent dans notre mémoire, associées à des souvenirs heureux ou malheureux. Lors de dégustations ultérieures, les aliments dont nous avons mémorisé le goût nous font revivre des « tranches de vie », des émotions, et nous permettront de retrouver un certain plaisir.
En apprenant à goûter aujourd’hui, nous cultivons petit à petit la valeur évocatrice des aliments, pour que demain, chaque nouvelle dégustation soit plus intéressante et plus riche.
Chapitre 2 Les différences de points de vue entre goûteurs Dès lors que l’on s’intéresse aux dégustateurs, on ne peut manquer de remarquer les différences de ressenti entre les individus et ni de s’interroger sur l’origine de ces différences.
Différences innées… Il nous est impossible d’imaginer les goûts que perçoit notre voisin de table, qui consomme pourtant exactement le même aliment que nous. En effet, on sait depuis quelques années qu’il existe des différences qualitatives et quantitatives importantes entre les perceptions des dégustateurs.
Ces différences de sensibilité sont innées et irréductibles. Chaque individu reçoit à sa naissance un équipement en récepteurs olfactifs et gustatifs qui lui est propre : c’est avec cet équipement sensoriel, déterminé génétiquement, que chacun d’entre nous capte les odeurs et les goûts.
C’est ainsi que 10 % d’entre nous ne sont pas « équipés » pour percevoir toute la complexité de l’odeur de la truffe, que 20% d’entre nous sont peu sensibles au goût du glutamate de sodium, substance utilisée comme renforçateur de goût dans de nombreuses préparations alimentaires….etc.
Ce caractère intime de la perception des odeurs et des goûts justifie bien cette formule un peu laconique : « le goût ne se raconte pas, il se goûte ! »
… et différences acquises Aux différences de perceptions, innées, s’ajoutent des différences d’appréciation, acquises. Ainsi, des dégustateurs réunis autour d’une même table apprécient diversement un même aliment.
Ces goûts et dégoûts dépendent entièrement des expériences développées vis-à-vis des aliments : à chaque dégustation, le goût de l’aliment est intimement associé aux informations présentes au moment de la dégustation. Si cette « tranche de vie » est agréable, nous attribuons à l’aliment une valeur hédonique positive : nous le trouvons bon.
Si, par la suite, ce même aliment se représente à nous, nous en aurons un préjugé favorable, préjugé qui sera confirmé ou infirmé selon le contexte de cette nouvelle dégustation.
Ainsi va-t-on apprendre à aimer des aliments associés à des contextes agréables (effet bénéfique de l’aliment sur l’organisme, convivialité de la dégustation, circonstances sociales et affectives positives, connaissances et informations sur l’aliment…etc.).
Ces mécanismes associatifs, très puissants, modèlent nos préférences dès notre naissance (et même avant notre naissance !). Ils expliquent par exemple que l’on en vienne à apprécier des aliments amers, initialement aversifs.
Le plus étonnant est que les vraies raisons de nos préférences alimentaires nous échappent souvent : les mécanismes associatifs que nous venons de décrire sont totalement inconscients.
Nous pensons aimer tel dessert pour ses arômes ou son caractère moelleux, crémeux, alors que nous l’aimons en réalité parce que notre grand-mère avait la gentillesse de le préparer à notre attention quand nous étions enfant.
Et puisque l’environnement de la dégustation influence tant les goûts et dégoûts alimentaires, les adultes portent une vraie responsabilité dans l’établissement du répertoire alimentaire des enfants. A eux de créer un contexte de consommation agréable et rassurant, d’encourager l’esprit de découverte de l’enfant, de le gratifier quand il goûte un aliment nouveau, en un mot, d’éveiller plutôt que de forcer.
Chapitre 3
L’éducation au goût nous apprend à respecter ces différences Les classes du goût révèlent toute l’étendue des différences entre dégustateurs. Chaque enfant apprend à se situer par rapport aux autres : qui préfère le beurre doux au beurre salé ? qui aime les plats épicés ? pourquoi préfère-t-on le Roquefort à l’Emmental ?…
Les enfants prennent conscience des différences d’appréciation liées au vécu et à la culture alimentaire de chacun.
Ils découvrent aussi l’ampleur des différences de perception : un tel, sensible à l’amertume, grimace en goûtant du pamplemousse, alors que tel autre ne perçoit pas de goût amer…
Cette découverte des différences est une vraie leçon de civisme : dans le domaine du goût, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Par conséquent, on apprend à défendre son point de vue, à écouter et respecter le point de vue des autres.
Et, la convivialité des échanges aidant, on se laisse éventuellement convaincre de goûter ce que l’on rejetait initialement ! Facteur d’insertion pour les uns, facteur de découverte pour les autres, facteur d’enrichissement dans tous les cas, l’éducation au goût réveille chez les enfants le plaisir de goûter, de manger et de cuisiner.
Chapitre 4 Le goût s’apprend à tout âge, mais cet apprentissage est particulièrement important chez l’enfant L’enfant a besoin d’être guidé pour diversifier son alimentation. En effet, les jeunes enfants acceptent spontanément un petit cercle d’aliments : des aliments sucrés (fruits, glaces, confiseries….), certains aliments salés et simples (frites, pâtes, riz, pizza), certaines viandes (bifteck et poulet) et d’autres aliments en général nourrissants et au goût peu marqué ; mais il est plus difficile de les faire consommer des aliments peu nourrissants comme les légumes verts, des aliments forts en goût ou des aliments nouveaux. Ces goûts et dégoûts semblent d’ailleurs être communs à des enfants de différentes cultures.
Or, une alimentation diversifiée est importante pour favoriser le développement harmonieux de l’individu (les choix alimentaires effectués durant l’enfance conditionnent durablement la vie d’adulte !).
L’éveil sensoriel apprend justement aux enfants à aimer des aliments variés.
Une clé de cette éducation au goût est d’offrir à l’enfant la possibilité de se familiariser avec des aliments peu connus et de se les approprier. En effet, les psychologues ont bien compris que les enfants refusent de goûter un certain nombre d’aliments par crainte de la nouveauté : manger n’est pas un acte si simple et banal qu’il y paraît ; c’est un acte intime, puisque l’aliment avalé devient une partie de l’organisme, une part de soi.
Goûter des aliments nécessite de vaincre une certaine crainte initiale concernant les risques de cette ingestion et de trouver une motivation qui dépasse la peur de goûter (en particulier la gratification des parents ou d’un adulte valorisé). Les adultes ont ainsi un rôle clé dans l’éducation au goût : il leur revient d’éveiller l’enfant plutôt que de le forcer à manger.
Laissons donc le temps aux enfants de « faire connaissance » avec des aliments nouveaux avant de les mettre en bouche : quel est l’aspect, la couleur, la forme, l’odeur, la consistance de cet aliment ? Quels aliments ou souvenirs ces caractères rappellent-ils à chacun ? Les analogies que l’enfant établit avec d’autres aliments connus lui permettent de commencer à s’approprier l’aliment.
Vu l’importance de cette prise de contact avec l’aliment, il n’est pas étonnant de voir les élèves des Classes du Goût se régaler d’endives, préparées par leurs soins (avec une certaine excitation et un vif plaisir !).
L’acceptation des aliments nouveaux peut prendre plus ou moins de temps, selon les enfants (leur âge, leur sexe, leur personnalité), la nature des aliments (les aliments d’origine animale font l’objet de rejets plus marqués), le degré de nouveauté de l’aliment, le contexte de consommation…
Mais il est très souvent possible d’amener l’enfant à apprécier davantage un aliment nouveau en le lui faisant consommer de façon répétée (toujours dans un contexte agréable) : au fil des consommations, l’enfant constate que l’aliment n’est pas « mauvais » pour lui ; il attribue une signification à cet aliment et le juge plus favorablement (durant cette familiarisation, l’ingestion du produit est nécessaire pour faire évoluer les préférences car les effets postingestifs rentrent en compte dans la formation des goûts).
Le résultat de la familiarisation est que l’aliment change de statut : d’inconnu et potentiellement dangereux, il devient connu et inoffensif, voire bénéfique pour le mangeur.
Chapitre 5 Apprendre avec « ceux qui savent » Pour les omnivores que nous sommes, manger implique de choisir ses aliments : notre statut d’omnivore nous oblige à adopter une alimentation variée, puisque notre organisme ne sait pas synthétiser tous les éléments dont il a besoin à partir d’un aliment unique.
Cette donnée biologique, c’est-à-dire notre condition d’omnivore, est relativement peu contraignante : le biologique nous laisse un large espace de liberté. De nombreuses « solutions » permettent de répondre aux besoins quantitatifs et qualitatifs de l’organisme, de sorte que la question des choix alimentaires se pose au mangeur de façon récurrente.
Ces choix alimentaires peuvent être délicats et lourds de conséquences pour l’individu (en particulier quand on s’aventure à goûter un produit nouveau).
En cela, le groupe a un rôle de guide pour l’individu : il lui transmet son expérience et un ensemble de pratiques sociales et culturelles. L’individu n’est pas laissé seul face à ses choix alimentaires ; les acquis socioculturels régulent son comportement et lui évitent de prendre des décisions difficiles (et de commettre d’éventuelles erreurs).
C’est ainsi que le groupe et la culture nous apprennent à ne consommer qu’un nombre restreint d’aliments parmi tous ceux que notre organisme serait capable d’absorber et de digérer. En France, nous ne consommons par exemple ni algues, ni insectes et nous ne considérons comme comestibles qu’un petit nombre d’espèces animales (nous évitons de manger du chien, du chat, du rat… ainsi que certaines parties d’animaux, telles que les yeux).
Cette limitation du répertoire alimentaire a pour origine des critères culturels (les représentations associées aux aliments) et non biologiques. Elle existe dans toutes les sociétés, chaque société considérant tel ou tel produit comme « bon à penser » et « bon à manger ».
Le rôle du groupe ne se borne pas à désigner les aliments bons à manger. La culture comporte aussi un ensemble de règles et de recommandations indiquant comment préparer les aliments, comment les associer et les consommer : nous ne mangeons pas seulement des aliments, mais des combinaisons d’aliments, qui deviennent des plats, eux-mêmes associés en repas organisés. La cuisine constitue ainsi un code d’identité et de reconnaissance extrêmement fort pour le groupe. Sachant cela, les cuisines étrangères qui arrivent aujourd’hui sur nos tables devraient être considérées comme un complément culturel et non comme une perte d’identité… Nathalie Politzer
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